ANTIGONICK

ANTIGONICK

“Il est bien des merveilles en ce monde, il n’en est pas de plus grande que l’homme », affirme le premier chœur d’Antigone. L’orgueil des Grecs anciens, qui sillonnaient la mer Méditerranée à bord d’embarcations en bois ou luttaient contre la mort avec de simples potions, semble presque puéril à l’époque de l’économie mondiale.”  

Et cependant...

La figure d’Antigone m’est tutélaire et élective. Elle m’accompagne de sa sororité puissante et aimante. Née d’une tache : l’inceste d’Œdipe et de Jocaste, Antigone bravera par ses actes la condition qui aurait dû être la sienne. Elle tiendra la main de son père dans son errance à travers la nuit, elle affrontera Créon pour donner une sépulture à son frère Polynice. Renoncer n’est pas de son coeur. Elle sera enterrée vive.

Le conflit Antigone-Créon est désormais une dimension de la conscience intellectuelle et politique de nos démocraties. Après des années d’étude de droit, il me semblait que dans une démocratie abimée, la seule arme qui reste est celle du droit. Mais de quel droit parle-t-on ? Droit de la nature, droit des hommes ?

Il est d’étranges liens qui nous font apparaître que peut- être la création qui se commence était déjà contenue dans la précédente. Dans L’Au-delà de Didier-Georges Gabily, Silencieux rêve dans les limbes de son coma éthylique à une Antigone de supermarché. Avec les acteurs de ce travail, nous sommes partis quelques jours à La Fonderie. La Fonderie du Radeau au Mans. Nous avons commencé lectures d’Antigone de Robert Garnier, celle qui s’accompagne du vieux mot de piété. Et aussi, un parcours préliminaire avec la variation de Anne Carson Antigonick traduite par Édouard Louis. Fulgurance des heures passées à fouiller la langue boueuse et grasse, enracinée, humaine, de Garnier. Cette langue-là qui fut notre français d’avant que « Malherbes vînt », si ancienne qu’elle nous arrive d’abord comme étrangère. Nous apprenons. De chaque langue, de chaque histoire. Le mythe nous porte et nous échappe, fuyant selon les pièces qui le composent. Le labyrinthe.

Puis, nous sommes repartis avec ces textes conviés avec des voix et des corps ; du texte de théâtre avec des voix et des corps d’êtres humains pour dire son fait au monde.

Et les heures de voyages immobiles sont arrivées.

Sans utiliser l’actualité à fin de prétexte à dire, impudeur indécente, tout à coup être face à face avec l’interdit d’enterrer ses morts, dans un dernier soubresaut sécuritaire. Depuis que les être humains sont sur terre, ils font des sépultures, ils font des rituels du deuil. Toutes les cultures ont des rituels du deuil. Et là nous sommes obligés de ne plus en faire. Quel désespoir pour celui qui part seul ? Quel malaise pour celui qui a laissé l’aimé partir sans l’accompagner ? Aucune culture n’a laissé le corps de sa mère pourrir par terre ! Il y a 2000 ans, avant l’Évangile, Antigone se lève et dit à Créon : Ta loi est criminelle et je n’y obéirai pas. Cette jeune fille nous jette à la face que ne pas enterrer ses morts est une insulte à l’être, au soleil.

Toutes les familles endeuillées, en une nuit, sont devenues Antigone. Les “responsables” politiques de nos cités ont partout rallumé la flamme d’Antigone, sa colère et sa certitude d’un autre droit, fondé sur des pratiques immémoriales et chtoniennes. Le sacrifice qu’ils ont imposés - non pas les morts, non pas la maladie, mais son traitement, l’indignité, l’impiété aurait peut-être écrit Garnier, qu’ils ont maintenant gravée dans la loi de l’Etat d’urgence - aura des conséquences profondes, tragiques parce qu’il touche le fond de notre condition humaine.

Antigone. Honorer sa désobéissance sacrée qui appelle nos dimensions spirituelles inaliénables. Il s’agit de nécessité.

Laëtitia Pitz

texte Anne Carson
d’après Antigone de Sophocle
(éd. L’Arche, 2019, trad. Édouard Louis)
mise en scène Laëtitia Pitz
composition Christian Wallumrød
collaboration artistique Anaïs Pélaquier
assistant à la mise en scène et traducteur Emmanuel Reymond

scénographie Alain Chambon
création lumière Christian Pinaud
création vidéo Anaïs Pélaquier
régie lumière et vidéo Florent Fouquet
régie son en cours
régie générale Ruben Trouillet

jeu
Anne Alvaro
Océane Cairaty
Elsa Canovas
Camille Perrin


ensemble instrumental
Christian Wallumrød piano
Jan Martin Gismervik percussion
Lukas De Clerck aulos
Sofia Jernberg voix

production & diffusion Isabelle Busac
relations presse Isabelle Muraour / ZEF
image & réseaux Jean Valès

co-production (en cours)
La Filature - scène nationale de Mulhouse
Le Grand Théâtre du Luxembourg
La Cité musicale-Metz

soutiens (en cours)
Département de la Moselle - Aide à la création 2025